La source du problème Entrevue avec Ramona Alaggia, Ph. D., au sujet des violences basées sur le genre

La source du problème

Entrevue avec Ramona Alaggia, Ph. D., au sujet des violences basées sur le genre

Les violences basées sur le genre sont l’un des enjeux sociaux les plus pressants de notre temps. La montée récente du mouvement #MeToo, les conclusions de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et les impacts continus de la pandémie de COVID-19 ont mis ces violences à l’égard des femmes sous les projecteurs médiatiques et ont contribué à faire naître un débat plus large sur les problèmes systémiques et généralisés qui sont à la source de ces violences. De plus en plus de Canadiens sont désormais attentifs.

Ramona Alaggia, MTS, Ph. D., TSI est une éminente chercheuse dont le travail est axé sur le genre et les violences en découlant; elle est professeure à la Faculté de travail social Factor-Inwentash de l’Université de Toronto. Ses travaux ont conduit au développement d’approches novatrices dans la prévention, l’intervention et le traitement concernant les violences basées sur le genre. Actuellement, Mme Alaggia mène une étude à grande échelle sur l’impact du mouvement #MeToo sur la divulgation des violences sexuelles au Canada.

L’Ordre a eu le plaisir d’inviter Mme Alaggia à prononcer le discours d’ouverture de son Assemblée annuelle, le 3 septembre 2020. Mme Alaggia  a exploré plusieurs questions, notamment s’interrogeant sur la définition du genre, sur les différences entre les termes égalité et équité, et sur le lien entre ces notions et les violences basées sur le genre. Elle a examiné aussi les moyens que peuvent utiliser les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social pour repérer ces violences et s’efforcer d’y remédier.

Regardez et écoutez le discours de Mme Alaggia (en anglais seulement)

Avant l’Assemblée annuelle, l’Ordre a interviewé Mme Alaggia pour recueillir ses réflexions sur le sujet de l’égalité des genres et nous dire en quoi les violences  basées sur le genre impacte l’équité des genres.

Q : Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à la question du genre et des violences en découlant?

Une fois que l’on sait quelque chose, on ne peut plus ne pas le savoir. Au cours de mes 15 ans de travail auprès d’enfants et d’adolescents touchés dans leur santé mentale et auprès de foyers de groupe, j’ai commencé à voir clairement le cœur du problème. Nous évaluions chez ces jeunes les troubles du comportement, les troubles de l’humeur et les troubles de la personnalité alors que nombre de leurs problèmes avaient leur origine dans les traumatismes de l’enfance. Ces jeunes avaient souvent des antécédents d’abus sexuels, de maltraitances physiques et d’exposition à la violence conjugale. Je me demandais également pourquoi il y avait plus de filles et de femmes qui étaient en traitement. Je ne pouvais pas ne pas tenir compte de ce que je voyais dans les services et dans ma propre pratique, je ne pouvais pas faire abstraction des très graves conséquences de l’oppression fondée sur le sexe.

Q : Quels sont, à votre avis, les défis et les obstacles majeurs que l’on rencontre dans la lutte contre les violences basées sur le genre?

Nous avons toujours des lois et des politiques centrées sur les hommes, qui ne reflètent pas les toutes dernières études. Le mouvement #MeToo, sur lequel je fais actuellement ma recherche, pourrait représenter un mouvement collectif apte à remédier aux violences sexuelles infligées aux femmes sur le lieu de travail et dans d’autres aspects de leur vie.

Je constate aujourd’hui que de plus en plus de personnes choisissent des moyens non conventionnels pour dénoncer les violences sexuelles à leur égard, en parlant notamment en ligne ou au travers des réseaux sociaux, les voies de recours traditionnelles étant perçues non fiables. Nous avons tous vu comment ces personnes sont traitées au tribunal. Leur expérience est celle d’une atteinte à la réputation dans un système judiciaire qui ne reconnaît pas les rapports de force et la dynamique des traumatismes, qui plutôt dépeint les victimes comme étant complices et consentantes. Aujourd’hui, les tribunaux ne font pas justice aux personnes victimes de violences sexuelles; ce n’est pas étonnant que les victimes se détournent des recours traditionnels.


Faits essentiels au Canada sur le genre, les violences et l’inégalité

  • Environ 4,7 millions de femmes ont déclaré avoir été victimes d’agression sexuelle au moins une fois depuis l’âge de 15 ans (en 2018)
  • Les femmes autochtones ont représenté 21 % des femmes victimes d’homicide et 10 % des femmes disparues (2014, 2015)
  • Les femmes sont deux fois plus susceptibles de travailler à temps partiel que les hommes (26 % c. 13 %). Près de la moitié (45 %) de ces femmes invoquent les soins aux enfants comme principale raison de leur travail à temps partiel, alors que chez les hommes de la même tranche d’âge travaillant à temps partiel, près d’un (1) homme sur 10 invoque cette même raison.
  • Les femmes cadres d’entreprise gagnent 68 % du salaire de leurs homologues masculins (en 2019)
  • Les femmes racialisées gagnent 87 % du salaire des femmes non racialisées et 59 % du salaire des hommes non racialisés

Q : Pourquoi avez-vous voulu devenir travailleuse sociale?

La réponse à cette question a changé au fil du temps. J’ai toujours voulu aider les gens et être une alliée. J’ai commencé ce travail lors de mes études secondaires et universitaires auprès d’enfants et de familles marginalisés de zones prioritaires – en créant des programmes pour les jeunes dans les centres de loisirs et les centres communautaires. Travailler auprès de ces communautés a été très enrichissant pour moi.

Ensuite, j’ai observé ces situations sous l’angle des traumatismes, et je me rends compte aujourd’hui que les problèmes de ma propre famille ont absolument influé sur ma décision de devenir une aidante. Des études montrent que l’on trouve chez les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social un taux d’antécédents traumatiques plus élevé, pouvant comprendre un passé de violences et d’abus interpersonnels ou culturels. Dans mon cas, l’expérience migratoire de mes parents a été traumatisante; les traumatismes intergénérationnels ont marqué ma vie, des passés blessés souvent non traités avec donc des conséquences sur la santé mentale de notre famille.

Q : Que peuvent faire les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social pour mieux aider les personnes qui ont vécu des violences basées sur le genre?

Il nous faut adopter des stratégies qui ciblent au-delà de l’aide à une personne à la fois. Certes, travailler directement face à face avec un client est un aspect essentiel de la profession, mais une action collective est tout aussi nécessaire pour faire changer les lois et les politiques qui, par mégarde, discriminent, victimisent et traumatisent à nouveau les personnes qui ont vécu des violences basées sur le genre.

L’Ordre tient à remercier Mme Ramona Alaggia de nous avoir accordé cette entrevue et d’avoir prononcé le discours d’ouverture à l’Assemblée annuelle 2020.