Créer un espace plus équitable Entrevue sur la pratique anti-oppressive avec Donna Hinds, TSI

Créer un espace plus équitable

Entrevue sur la pratique anti-oppressive avec Donna Hinds, TSI

Le racisme systémique et l’oppression structurelle demeurent des problèmes majeurs en Amérique du Nord. La Commission de vérité et réconciliation du Canada et le Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont révélé des injustices passées et présentes à l’endroit des peuples autochtones qui vivent au Canada. Depuis l’été 2020, nous sommes témoins d’une mobilisation mondiale contre le racisme envers les Noirs à la suite du décès horrible de personnes noires en garde à vue. Ce ne sont là que quelques exemples d’une longue liste d’enjeux relatifs aux droits de la personne et à la justice sociale.

D’importants changements sociétaux, politiques et institutionnels sont nécessaires pour lutter contre le racisme envers les Noirs, le racisme envers les Autochtones et le racisme systémique. En tant que défenseurs des personnes marginalisées, les travailleuses et travailleurs sociaux et les techniciennes et techniciens en travail social devraient être conscients de ces inégalités historiques et jouer un rôle de premier plan dans la lutte visant à y remédier.

Donna Hinds, MTS, TSI, est professeure dans le cadre du programme de techniques de travail social du Centennial College, et spécialiste de la pratique anti-oppressive et de la théorie critique de la race. En tant qu’éducatrice, Donna enseigne à ses étudiants comment utiliser la pratique anti-oppressive lorsqu’ils travaillent avec des clients issus de communautés et de milieux marginalisés. À titre de femme noire, elle est fière d’être un modèle positif pour ses étudiants, dont bon nombre sont issus de tels milieux.

Récemment, l’Ordre a eu le plaisir de s’entretenir avec Donna par l’intermédiaire de GoToMeeting, notamment au sujet de la pratique anti-oppressive et des façons dont les travailleuses et travailleurs sociaux et les techniciennes et techniciens en travail social peuvent y recourir afin de remédier à l’oppression systémique. Vous pouvez lire l’entrevue de l’Ordre avec Donna ci-dessous.

Q : Qu’est-ce qu’on entend par pratique anti-oppressive, et pourquoi est-elle importante?

Donna Hinds (DH) : La pratique anti-oppressive est un outil de pratique transformationnelle qui offre aux travailleuses et travailleurs sociaux et aux techniciennes et techniciens en travail social l’occasion de procéder à une analyse réfléchie de la manière dont ils doivent exercer leurs fonctions lorsqu’ils travaillent avec de multiples formes d’oppression et de différences dans le cadre de leurs relations avec les particuliers, les familles, les communautés ou les organisations.

La pratique anti-oppressive est importante en ce sens qu’elle est multidirectionnelle et multifonctionnelle. En d’autres mots, un praticien ou un éducateur est libre de l’interpréter en fonction de sa position idéologique, tout en tenant l’interprète responsable de ses actions dans le contexte de la justice sociale et de l’égalité sociale.

Q : Comment les travailleurs sociaux ou les techniciens en travail social peuvent-ils gérer le malaise susceptible de survenir lorsqu’ils travaillent avec des clients qui remettent en question leurs convictions et préjugés?

DH : Les travailleurs sociaux ou les techniciens en travail social doivent comprendre qui ils sont, le « soi », lorsqu’ils éprouvent toute forme de malaise en travaillant avec des clients qui remettent en question leurs convictions et leurs préjugés. La compréhension du « soi » les aide à s’autoévaluer et à prendre conscience de leur comportement professionnel et de la façon dont les autres peuvent les percevoir. Par conséquent, les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social doivent avoir le courage de remettre leur malaise en question et les émotions qui l’accompagnent.

Que l’on soit d’accord ou non, les travailleuses et travailleurs sociaux et les techniciennes et techniciens en travail social sont souvent les bouées de sauvetage des personnes marginalisées. Ils occupent des postes qui leur permettent de remettre en question les politiques et ils sont les dispensateurs de ressources et de services. Afin de pouvoir redéfinir leur façon de penser et leurs valeurs dans le contexte de la prestation des services, les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social doivent tenir compte du fait qu’il n’est pas possible de fournir des services constructifs et dignes de confiance sans ressentir une certaine forme de malaise et une remise en question de leur identité professionnelle fondamentale. Si un client remet en question leurs convictions et leurs préjugés, de telles occasions ne doivent jamais être prises à la légère, mais plutôt les amener à réfléchir et à se demander si ce que le client a perçu est une manifestation de leur professionnalisme.

Q : Les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social sont dans une position de pouvoir lorsqu’ils travaillent avec des clients, dont un grand nombre pourrait provenir de communautés marginalisées. Comment peuvent-ils créer un environnement plus équitable pour ces clients?

DH : Tout d’abord, les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social peuvent créer un environnement plus équitable pour les clients en s’assurant que dans le cadre de leur pratique, leur relation est ancrée dans le Code de déontologie et manuel des normes d’exercice de l’Ordre, qu’elle y est conforme et qu’elle traduit et renforce les principes et les normes auxquels ils doivent adhérer, tant par leur conduite que par leurs actes.

Deuxièmement, les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social doivent comprendre la diversité culturelle, et prendre conscience des différences propres aux races, aux religions, aux sexes, aux classes, à l’ethnicité, à l’orientation sexuelle et à d’autres individualités sociales et réalités vécues. Une telle compréhension est nécessaire pour que les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social adaptent leurs façons de fournir de l’aide et des ressources afin de les rendre inclusives, pertinentes aux besoins du client et transformatrices dans l’ensemble de sa vie.

Cependant, la création d’un environnement équitable ne peut pas être la responsabilité uniquement des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social; il incombe également à nos hauts dirigeants de fournir les ressources financières nécessaires à la création d’organismes dont l’espace physique est invitant et accueillant pour les clients marginalisés.

Q : Quel rôle joue la pratique anti-oppressive dans la lutte contre l’oppression systémique, comme dans le cas du racisme envers les Autochtones et du racisme envers les Noirs?

DH : Il n’est jamais facile de remettre en question toute forme d’oppression systémique, dans la mesure où ceux qui en sont les gardiens et qui l’entretiennent y résisteront. Les fondements du racisme à l’endroit des peuples autochtones et des personnes de descendance africaine résident dans l’idéologie de la suprématie blanche. La pratique anti-oppressive joue un rôle fondamental en aidant les travailleurs sociaux et les techniciens en travail social à déconstruire l’oppression systémique et les inégalités structurelles qui renforcent le racisme envers les Autochtones et envers les Noirs, ainsi que d’autres formes d’oppression systémique.

Dans le contexte de la pratique et de l’étude du travail social et des techniques de travail social, la pratique anti-oppressive doit être enseignée et comprise afin de garantir que les praticiens et les étudiants dans ce domaine comprennent la dynamique sociale, économique et politique élargie du racisme envers les Autochtones et envers les Noirs, dynamique qui marginalise et perpétue des résultats inéquitables pour ces deux groupes. Avant tout, la pratique anti-oppressive aide les professionnels du travail social et des techniques de travail social à réfléchir à leur propre rôle dans le maintien des systèmes oppressifs qui renforcent le racisme envers les Autochtones et envers les Noirs, ainsi que d’autres formes d’oppression structurelle à tous les échelons et dans toutes les fonctions de la société.

Q : Pourquoi êtes-vous devenue travailleuse sociale et qu’est-ce qui a suscité votre intérêt pour la pratique anti-oppressive?

DH : J’ai toujours eu à cœur d’aider les gens, et le travail social m’a semblé être la voie la plus logique pour faire ce que j’aimais. Une autre raison pour laquelle j’ai choisi le travail social est que cette profession m’a aidée à comprendre la complexité du monde dans lequel je vis, le contexte et la complexité des relations humaines, ainsi que la manière de s’orienter dans des systèmes qui reproduisent des inégalités.

Mon intérêt pour la pratique anti-oppressive est né pendant mes études de premier cycle à l’École de travail social de l’Université York. L’un de mes cours de travail social critique portait sur la théorie de Michel Foucault qui traite de la relation entre le pouvoir et la connaissance, et comportait l’étude du livre de Bob Mullaly, Challenging Oppression: A Critical Social Work; ces lectures m’ont profondément marquée.

Q : Quel est l’aspect le plus gratifiant du rôle d’éducatrice?

DH : L’une des parties les plus gratifiantes de mon travail d’éducatrice est la possibilité d’inspirer et de motiver les étudiants pour qu’ils s’épanouissent dans leur vie professionnelle. J’ai la chance d’avoir une plateforme qui me permet de les aider à cultiver et à façonner leurs connaissances et leur compréhension en fonction de la manière dont ils perçoivent le monde et qu’ils s’y adaptent.

L’Ordre tient à remercier Donna Hinds de nous avoir accordé cette entrevue. Nous encourageons les membres à regarder la présentation de Donna sur la pratique anti-oppressive lors de la Journée de l’assemblée annuelle et de la formation 2019 (en anglais seulement).